Recommandations au poète valide assistant à un workshop sur la poétique du handicap

pour Jennifer Bartlett et Shira Erlichman

 

1. Gagnons du temps – oui, j’ai bien vu Rain Man, Miracle en Alabama, My Left Foot, ou, plus récemment, Une merveilleuse histoire du temps. Et moi aussi j’avais très envie de baiser Daniel Day Lewis, mais est-ce qu’on pourrait éviter ?

2. Si toustes les Ami‧es Noir‧es et Enfants à Besoins Spécifiques avec qui la mère de tout le monde/le cousin/la cousine/l’ami‧e/la mère de l’ami‧e/la mère du cousin ou de la cousine, a un jour pu travailler se rassemblaient, iels pourraient renverser le gouvernement et nous verrions enfin de réels changements. Ces personnes ne sont pas des références pour moi. Je n’ai aucune référence.

3. Ce n’est pas un jeu de société qui s’appelle «Qui a la vie la plus à chier ?». Tu as vu des choses que je ne peux pas imaginer.

4. Quand tu me parles de mon handicap, please, rappelle-toi que tu as Siri et que ce que tu as réellement besoin de savoir émergera dans les poèmes.

5. De la même façon, si tu décides “que tu as besoin de connaître” mon diag, je peux garantir que tous ces mots qui sonnent bien dégueux sont au moins quelque chose que j’ai en commun avec n’importe qui de ta connaissance. Si tu ne connais personne, me demander « Qu’est-ce que ça veut dire ?» n’est pas gratifiant. Je ne suis pas une peinture d’Andy Warhol. Et pour note : si on vient de se rencontrer et que c’est comme ça que tu m’abordes. Ou bien «alors, qu’est-ce qu’il t’est arrivé?» – tu te rends suspect‧e. J’ai un groupe de musique préféré, toute une bande d’enfants à quatre pattes. On va commencer par là.

6. Les mots «maladie», «trouble», et «handicap» ne sont pas synonymes.

7. Et pendant qu’on y est, parlons du langage. Tu es surtout là pour ça non ? Moi aussi. Mais c’est moi qui décide de comment on fait, pas toi. Si je dis « crip », c’est parce que j’aime la façon dont les consonnes cassent comme des os. Ça ne te donne aucun droit dessus. Si je dis « Parle de moi comme ‘à besoins spécifiques’ et je te roule sur les pieds », ça ne veut pas dire que cette délicatesse ne ferait pas du bien à d’autres. Le politiquement correct c’est un peu comme utiliser les bons pronoms. On m’a collé énormément d’étiquettes. Aucune n’était mon nom.

8. Dans le cas où la précédente référence aux pronoms t’aurait échappé, j’écrirai une strophe tout spécialement pour toi.

9. Ton oreille devra se forger au rythme des prises de parole. Ta cadence n’en pourra plus de me voir boiter. Tu auras envie de me rattraper quand je vacillerai ; de me guider par le coude ou la main ; de ne pas avoir à te répéter; de parler aussi vite que tu le fais en dehors d’ici. Ralentis. Ralentis tout.

10. La proposition verbale « mais tu n’as pas l’air malade » peut se faire prendre par un train en marche recouvert de tronçonneuses.

11. N’utilise pas le mot «inspiration» à moins que ce soit pour convoquer Walt Whitman, Langston Hughes, John Keats ou Jésus.

12. D’ailleurs, laisse Jésus complètement en dehors de tout ça ; il est suffisamment occupé.

13. Ce n’est pas un fauteuil roulant ; c’est un poste de combat automatisé. Ce n’est pas une béquille ; c’est une baguette de sourcier. Ce n’est pas un boitement ; c’est le swagg. Ce n’est pas un stim, c’est mon être fabuleux cueillant de la magie dans l’air.

14. Je ne suis pas ta métaphore. Utiliser les membres fantômes, la surdité ou la cécité comme des éléments figuratifs dans tes poèmes dégondera instantanément ma mâchoire.

15. Si tu te rends compte que tu es sur le point de dire quelque chose qui commence par « sans vouloir te vexer. » Je te demande de t’arrêter. D’inspirer. Et de te poser ces trois questions”: Est-ce que ça a besoin d’être dit ? Est-ce que ça a besoin d’être dit tout de suite ? Est-ce que ça a besoin d’être dit tout de suite par moi ? Si la réponse à l’une de ces trois questions est non, “Vous ne passez pas par la case départ, vous ne touchez pas 20 000 francs.”

16. Ris.

17. Sois honnête.

18. Ton objectif doit être celui d’un microscope. Demande-toi ce que tu fais réellement ici. Mais questionne aussi mes motivations. Mets bien le doigt là où ça fait mal.

19. Un dragon a dû être anéanti pour passer cette porte, qu’il s’agisse d’un vicieux conducteur de bus ou de pensées suicidaires. Alors quelqu’un va probablement se pointer en pyjamas, en crocs, en chaussettes dépareillées, pas douché‧e, les cheveux qui tombent à l’arrache d’une queue de cheval, peu importe. Qu’iel soit embarrassé‧e ou qu’iel s’en foute. Quoi qu’il arrive, personne n’a besoin que tu le mentionnes. 

20. Parle pour moi, pas de moi.

21. Oui, je peux baiser. Je pense que tout le monde ici peut t’en faire une impro visuellement si détaillée que tu auras une chair de poule frétillante et que tu ne reposeras jamais une telle question à une personne handicapée, à part, bien sûr, que ça soit une proposition de ta part.

22. Je ne pense pas que les timides deviennent poètes, mais si jamais c’est ton cas, tu ferais mieux de te détendre un peu si tu as peur du corps de l’autre. Si j’ai envie de faire un vers libre sur un sac de colostomie ou alors un pantoun sur la difficulté à gérer mes règles avec des béquilles, je veux le faire tranquillement.

23. T’as besoin d’un Nurofen ? Je te garantis que quelqu’un‧e en aura pour toi.

24. Si je dois quitter cette pièce pendant que tu lis, j’en suis désolée d’avance.

25. Permets-moi de souligner que Tiny Tim m’entubes depuis 1843. Si je suis heureuse, c’est vu comme un miracle ; si je ne le suis pas, je leur rappelle tout ce qu’iels ont et tout le travail qu’iels ont à faire. Que je sois un grand sourire, un poing haut levé, un œil pailleté de larmes.

26. C’est ici que je viens aiguiser mes dents, pleurer jusqu’à ce que j’en sois le Danube. Je m’en fous si ça te fait peur.

27. Trigger warnings. Point à la ligne.

28. Halle Berry, Harriet Tubman, Orlando Bloom, Bill Clinton, Charles Darwin. Beaucoup de tes stars sont handies. Tout comme beaucoup d’entre elles sont en fait bi. (Encore plus d’actu au flash info de 11h.)

29. Et pendant qu’on y est, être handicapé‧e ne signifie pas que tu coches la case « minorité » sur un formulaire. Je dis ça au cas où.

30. J’ai pas envie de parler de moi. Tu la trouves comment la structure de mes strophes ?

31. L’intersectionnalité n’est pas un mot pour faire joli.

32. Si j’ai besoin de ton aide, je te demanderai. Répète-toi ça un milliard de fois.

33. Pendant qu’on y est : tu n’attraperais personne dans le métro. Tu laisserais ton visage se fracasser contre le poteau avant même de prendre appui sur la personne d’à côté. Alors pourquoi, au nom des dents de Dieu, me toucherais-tu, ou tout autre appareil d’aide à la mobilité que je pourrais avoir, sans me demander ?!

34. Pour mémo : tu n’es qu’à un glissement dans la douche, qu’une visite chez le médecin, qu’un virage raté d’être moi.

35. Si je tombe, ta réaction peut faire plus de mal que l’impact.

36. Je ne t’accuse pas. Je dis « Fais attention ».

37. Tôt ou tard, quelqu’un‧e n’aura pas d’autre choix que d’arrêter de venir. Envoie-lui un mail; ça serait cool.

38. Même si je te fais pitié, ne fais pas n’importe quoi pendant l’editing.

39. Ton corps est juste trop beau. C’est comme si rien d’autre n’existait.

40. S’il te plaît garde en tête que de suivre ne serait-ce que l’un des points susmentionnés ne t’apportera aucun éloge, cookie, médaille, ni rien d’autre. Merci à toi.

41. Les personnes sont comme les poèmes. Iels n’ont pas de fin ; c’est juste qu’iels s’arrêtent.

 


Liv Mammone est une poète et éditrice vivant à Long Island.

Traduit par Növi Jacquet.