Les études critiques du handicap et la question de la Palestine
Vers une décolonisation du handicap

La Question de la Palestine

         En avril 2021, lors d’une session plénière de la Society for Disability Studies sur les temporalités crip1, Alison Kafer remarquait judicieusement que celleux qui avaient eu la possibilité de distinguer l’« avant » de l’« après » pandémie affichaient déjà la marque des corps jugés dignes d’être soignés, contrairement à celleux qui persistent à travers les fils tressés de l’épuisement et de l’affaiblissement2. Ce qui a été largement fétichisé comme le « temps pandémique » est en fait ce que le « temps crip » a toujours été, ce que les personnes handicapées vivent tous les jours — jamais à temps, en attente de temps, manquant de temps, incapable de suivre le temps, temps forcé à la maison, temps d’attente trop long. Alors que l’on découvre à nouveau le « care » en tant qu’éthique de la convivialité et de l’interdépendance, les mobilisations nord-américaines pour la justice handie3 expérimentent depuis longtemps des pratiques et des pédagogies du partage du travail socialement reproductif afin de contrer les forces stratifiantes de la biopolitique, en développant des moyens de s’entraider, à l’instar de ce que Tithi Bhattacharya appelle la communalisation des formes de « fabrication de la vie4 ».

         La théorie crip met en lumière la consolidation biopolitique5 du vecteur make live [reproduire la vie] non seulement en termes de populations, mais aussi en termes de pratique quotidienne de la reproduction sociale, et plus particulièrement celle de la F famille nucléaire blanche télétravaillant durant la pandémie. Autrement dit, si nous pouvons facilement délimiter les populations qui habitent et protègent le vecteur « make live » — les classes de l’élite dirigeante, le 1 % — l’amplification des pratiques d’autopréservation pendant la pandémie nous en donne une cartographie différente. S’appuyant sur une tradition féministe noire de soins communautaires dans l’œuvre d’Audre Lorde, les théoriciennes du crip Jina Kim et Sami Schalk affirment que les personnes handicapées n’ont pas le luxe de séparer la reproduction sociale de la reproduction. En outre, le travail de reproduction est exponentiellement plus important et dépend souvent du travail des « fems noires et racisées6 ». Sins Invalid, organisation fondatrice du mouvement pour la justice handix, portée par des personnes bipoc7, queer, trans et non binaires, a développé tout un lexique sur les « réseaux de soins », les « pods8» et les « cuillères9 » communautaires para- et infra-étatiques, centralisant la collectivisation du temps lent, l’antinucléarisation des soins10 et, comme l’affirme Heike Peckruhn, une philosophie de « l’accès » qui va au-delà des aménagements en exigeant « l’accès à la vie »11.

         Même si nous affirmons l’ampleur et la portée salvatrice de la pensée du mouvement nord-américain pour la justice handix et de la théorie crip sur les réseaux de soins, la résistance à la productivité et l’adoption d’une vie lente, nous pouvons également noter les limites épistémologiques de ce lexique dans des contextes coloniaux tels que la Palestine, où la mutilation de masse est l’une des sources prédominantes de handicap et où l’approche « tirer pour mutiler12 » [shoot to cripple] a été mobilisée au fil des ans afin de discipliner et de contrôler les colonisé‧es. Il n’est pas certain que la terminologie des études du handicap soit même pertinente dans un contexte où « tirer pour mutiler » est une tactique coloniale. En outre, les concepts de « validisme », d’« accessibilité » ou encore d’« aménagement » doivent nécessairement être réévalués. L’accessibilité en Palestine s’articule autour des relations avec l’espace occupé et la mobilité colonisée. Par exemple, les chauffeur‧euses de bus et de taxis créent des « cartes d’accès » en constante évolution, en surveillant et en évaluant les points de contrôle improvisés, les autoroutes entravées, la violence des forces d’occupation israéliennes, la présence de colons, l’usage croissant de drones de surveillance, les routes fermées sans explication, les protestations et manifestations de masse, les défilés spontanés pour accueillir les prisonnier‧ères libéré‧es, et les démolitions de maisons.

         Mais il ne s’agit pas seulement d’un problème de terminologie et de circulation des concepts. Penser au travers des limites de ces cadres nous permet de théoriser une géopolitique de la production de connaissances sur le handicap qui, loin de réifier la division Nord/Sud du monde, mettrait en avant les matrices entremêlées du colonialisme, de l’empire et des infrastructures de mutilation qui traversent les apparences de la géographie. J’utilise le cadre Nord/Sud global13 pour marquer plutôt que résoudre le désordre de la géopolitique. La Palestine est souvent conçue et enseignée comme faisant partie du Sud global, mais elle ne fait pas moins partie du Nord global étant donné l’occupation coloniale israélienne et le soutien financier et idéologique global dont bénéficie Israël. En outre, les États-Unis et Israël sont étroitement liés dans la normalisation du colonialisme de peuplement, une structure qui exige « la mutilation perpétuelle comme technique de génocide14». Cet enchevêtrement peut être considéré de plusieurs manières, à la fois conceptuellement et matériellement. Yasmin Snounu, spécialiste palestinienne des études critiques du handicap, affirme « qu’il est important de contextualiser le handicap en Palestine dans le cadre de référence étatsunien, car celui-ci est en réalité fortement lié à l’engagement politique des États-Unis en Palestine15 ». Dans un article (coécrit avec Phil Smith et Joe Bishop), Snounu note que « les États-Unis, en particulier, contribuent à l’invalidation du peuple palestinien en soutenant les projets coloniaux de l’État israélien. Ensuite, les États-Unis envoient des fonds aux pays en voie de développement pour des projets portant sur le handicap16».

         En mettant en lumière cette circulation perverse entre mutilation et soin, Snounu, Smith et Bishop démontrent la pertinence du cas spécifique du handicap en Palestine pour construire une étude critique du handicap qui aborde le colonialisme de peuplement et l’empire américain17. La formulation classique de la « question de Palestine » par Edward Said a mis au défi la gauche intellectuelle aux États-Unis depuis les années 1970 et demeure tout aussi saillante aujourd’hui que lorsqu’il l’a posée pour la première fois18. Bien que la Palestine ne soit plus tout à fait un sujet tabou pour les universitaires, l’élargissement du débat à son propos s’est accompagné d’une plus grande répression de la liberté d’expression par le biais d’une myriade de tactiques : campagnes de diffamation, lois anti-BDS19 dans de nombreux États, et une définition de l’antisémitisme qui inclut toute critique de l’État d’Israël. Ces précisions sur le statut de la Palestine dans le monde universitaire américain sont pertinentes, car les études critiques du handicap se sont historiquement revendiquées comme un domaine militant et aspirent donc à s’aligner sur l’organisation du mouvement pour la justice handie. De nombreuses organisations de justice pour les personnes handicapées ont ainsi soutenu cette cause anticoloniale : par exemple, Sins Invalid a publié une déclaration de solidarité avec la Palestine ainsi qu’une vidéo intitulée « Disability Justice for Palestine » lorsque les mutilations de manifestant‧es gazaoui‧es ont commencé en 201820.

         La déclaration provocatrice d’Helen Meekosha en 2011, selon laquelle les études du handicap peuvent constituer une « forme de colonialisme savant », est une mise en garde contre la manière dont celles-ci peuvent involontairement servir l’empire américain si nous n’interrogeons pas les généalogies de ce domaine universitaire, qui existe non pas en dépit de l’occlusion de la race et de l’empire, mais à cause de leur omission du champ académique. Meekosha affirme en outre que malgré les craintes de pathologisation et de retour au modèle médical, « les universitaires et les militants doivent considérer comme un problème central la production de déficiences dans les pays du Sud21 ». Sarah Orsak souligne l’importance de ces craintes avec éloquence, en notant que « le handicap ici n’est pas marginalisé comme une incapacité ou un manque, mais devient plutôt une précieuse ressource productive tant pour le capitalisme que pour l’impérialisme22 ». Alors que la production de limitations fonctionnelles et de mutilations dans le Sud global est de plus en plus reconnue, cette reconnaissance s’accompagne souvent de déclarations libérales sur la valeur des vies handicapées, comme si les critiques de la violence coloniale, dans leurs propres termes, étaient d’une certaine manière implicitement validiste. Une telle tournure rhétorique passe à côté de la force de l’argument de Meekosha, au pire en faisant l’apologie de la violence impérialiste, au mieux en reproduisant ce colonialisme savant qui refuse d’envisager la possibilité que, pour de nombreuses personnes du Sud, la principale préoccupation ne soit pas le retour ou l’omniprésence du modèle médical, mais la lutte pour « mettre fin à la violence mondiale sous toutes ses formes23 ». Comme le résume succinctement Meekosha, « les débats clés autour du handicap et des mutilations, de la vie autonome, des soins et des droits humains sont souvent sans intérêt pour celleux dont l’objectif principal est la survie ». L’organisation pour la justice handix, qui reconnaît que tous les corps colonisés sont jugés indignes et inaptes, travaille activement sur ces tensions en valorisant et en priorisant les connaissances et expériences que les personnes handicapées apportent aux luttes contre la violence validiste étatique et impérialiste, plutôt que de réitérer cette fausse dichotomie.

         Il est bien sûr essentiel de ne pas réifier le Nord et le Sud comme des entités distinctes ni minimiser la violence des « dictateurs enclins à la guerre […] des élites dirigeantes […] et des nationalismes populaires24». Pourtant, les préoccupations de Meekosha concernant les pratiques de citation qui ignorent la recherche « non métropolitaine », la théorie sociale et l’anthropologie médicale restent profondément pertinentes. La décolonisation du handicap et celle des études du handicap sont inséparables. Se concentrer résolument sur les régions du Sud global ne revient pas à mettre de côté les études critiques du handicap actuelles, mais plutôt à prendre au sérieux le fait qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’analyser le handicap. Cette reconnaissance commence par l’impossibilité de dissocier le handicap, en tant que projet épistémologique25, de l’ascendant biopolitique de la blancheur26. Les champs d’études et les disciplines ne sont pas des formations bénignes ; elles sont issues d’ordres globaux, de formations sociales et d’arrangements de pouvoir, et en produisent des interprétations. L’une des missions fondatrices du domaine est l’étude des modalités de création et de diffusion des connaissances sur le handicap, et ceci implique nécessairement ses propres pratiques à cet égard. Le domaine des études critiques du handicap doit donc rendre compte de sa relation avec l’un des plus grands producteurs de mutilations de masse au monde : l’empire américain. L’appel de Meekosha à « décoloniser le handicap » est l’occasion d’interroger les projets de production de connaissances sur le handicap qui bénéficient des circuits mêmes de l’empire permettant la massification du handicap27. Parmi ceux-ci se trouve l’échelle de masse, selon Snounu et al. : « les crimes commis par l’occupation israélienne accroissent le nombre de personnes handicapées, faisant de la Palestine le pays avec le plus haut pourcentage de personnes handicapées dans le monde. […] Le nombre total de personnes handicapées en Palestine se situe entre 114 000 et 300 000, suivant la définition du handicap utilisée28 ». C’est pourquoi la question de la Palestine est d’une grande pertinence pour les études critiques du handicap aujourd’hui, à la fois en tant que question de justice pour toutes les personnes handicapées et en tant que nœud géopolitique qui incite à repenser le domaine et ses présupposés.

         Dans la discussion qui suit, je propose plusieurs réflexions pour une recherche préliminaire sur le handicap en Palestine. Une discussion approfondie des termes et des paramètres locaux de l’activisme en faveur des personnes handicapées en Palestine dépasse toutefois le cadre de ce chapitre29. Meekosha nous rappelle que « les politiques anticolonialistes des personnes handicapées dans le monde majoritaire30 restent à documenter31 ». Il se peut également que ces politiques soient moins visibles sous le prisme des droits des personnes handicapées, de l’activisme et de l’organisation pour la justice ; elles transitent plutôt à travers des mouvements de résistance anticoloniale plus généraux (la notion de « justice spatiale » en est l’une des formes possibles)32. L’objectif principal de ce bref article est de mettre en avant les circuits de l’empire américain et du colonialisme de peuplement afin de remettre en question la supposée opposition entre les études critiques du handicap et les études du handicap dans les régions du Sud, ainsi qu’une binarisation nord/sud qui masque les relations interconnectées des infrastructures de la domination coloniale.

Invalidations spatiales en Cisjordanie33

         En 2018, grâce à une bourse du Palestinian American Research Center, j’ai pu faire partie d’une équipe qui a rencontré des personnes travaillant et fréquentant des centres de réadaptation34 dans les camps de réfugié‧es des Territoires palestiniens occupés35. Bien qu’il y ait très peu de recherches spécifiquement axées sur le handicap dans les camps, on peut s’inspirer de certains travaux portant sur les « disparités en matière de santé », notamment des études de plaidoyer réalisées par différentes ONG, agences gouvernementales et instituts de santé publique36. En raison notamment de la fragmentation en bantoustans37 de la Cisjordanie et des divisions temporelles résultant des restrictions de mobilité, il existe des généalogies multiples et souvent contradictoires du handicap en Palestine : par exemple, les concentrations spatiales du handicap dans les camps de réfugié‧es ne correspondent pas nécessairement au travail des ONG mettant l’accent sur l’identité, les droits des personnes handicapées et les politiques néolibérales de reconnaissance et d’empowerment38‧ Ce texte vise donc à relier la distribution spatiale du handicap à la vaste littérature scientifique consacrée aux restrictions de mobilité afin de mieux comprendre le fonctionnement de l’occupation.

         Snounu, Smith et Bishop soulignent la complexité du handicap en Palestine, en partie à cause du « nombre de Palestinien‧nes mutilé‧es quotidiennement par Israël39 ». J’ajouterais que la ségrégation spatiale limite l’accessibilité et détermine la signification même du handicap, ainsi que sa relation avec la dégradation générale endémique de la vie en Cisjordanie. L’occupation impose une réglementation spatiale extrême par le biais de la restriction des mouvements, l’une des principales techniques du régime colonial de peuplement, ce qui conduit à la ségrégation entre elles des populations palestiniennes40. Il convient de souligner que certains camps sont spatialement isolés, ou au contraire regroupés, mais cela s’inscrit dans le contexte plus large de cloisonnement territorial en Cisjordanie. Certains camps se trouvent à l’intérieur ou dans le prolongement des villes ; d’autres, sans être isolés des centres urbains, sont considérés comme périphériques par rapport aux villes et villages locaux. Les divisions entre l’intérieur et l’extérieur du camp sont fragiles et mal définies, vaguement délimitées par les géographies urbaines ou en marge de l’urbain, la densité de la population et l’étalement vertical qui caractérise les camps (ceux-ci développent vers le haut puisqu’ils ne peuvent pas s’étendre). Tout en gardant à l’esprit l’indétermination des limites spatiales et temporelles des camps, nos interactions nous ont permis de comprendre que l’affaiblissement continu et le handicap sont perçus comme concentrés dans l’espace d’une manière qui peut contribuer à un sentiment d’enfermement41. L’essor concomitant du développement néolibéral en Cisjordanie (Ramallah en tant que microcosme, Rawabi en tant que complexe immobilier et commercial de luxe) contribue également à la fragmentation spatiale de l’occupation42. Snounu, Smith et Bishop écrivent que « la Palestine, par exemple, est principalement confrontée à des questions de handicap physique dû à la violence israélienne, mais aussi au manque d’outils de diagnostic, qui rend difficile l’identification de celleux qui ont des difficultés d’apprentissage43». Bien que cela corresponde à mes propres observations, j’ajouterais que le ratio et la distribution des « handicaps physiques [de guerre] » et des « autres » handicaps sont, une fois de plus, surdéterminés dans l’espace, dans la mesure où les camps sont souvent soumis à des raids quotidiens violents de la part des forces d’occupation israéliennes.

         Lors de cette phase initiale de la recherche, j’ai compris deux choses : premièrement, que la création de « handicaps de la mobilité44 » au moyen d’agressions corporelles, mais aussi d’infrastructures, n’est pas seulement centrale dans la stratégie de l’occupation ; elle est aussi liée à des logiques d’affaiblissement continu qui rendent plus complexe la distinction binaire entre corps handicapés et corps non handicapés. « Le handicap de la mobilité », soutient Celeste Langan, est une « différence diminuée » entre des personnes handicapées à mobilité réduite et des personnes valides qui pourraient et ont besoin de se déplacer, mais ne le peuvent pas. Les entretiens et les conversations avec des Palestinien‧nes handicapé‧es dans des camps de réfugié‧es en Cisjordanie montrent que cette « différence diminuée » est une réalité vécue, surtout dans un contexte où les Palestinien‧nes vivent à proximité les un‧es des autres et où la structure domestique familiale est moins fragmentée. En outre, toustes les Palestinien‧nes sont soumis‧es à la « punition collective » des restrictions de circulation – points de contrôle, régimes de permis, mur de l’apartheid, autoroutes fermées. Je me demande si ces « différences diminuées », en particulier pour celleux qui vivent dans des camps ségrégués dans l’espace et qui subissent des taux plus élevés de blessures de guerre, favorisent les relations solidaires basées sur les différences de mobilité, plutôt que de réitérer l’analyse d’un binaire handicapé‧e/non handicapé‧e. En réalité, je soutiens qu’une réflexion approfondie sur cette « différence diminuée » est un point d’entrée important dans le processus de décolonisation du handicap.

Le spectre des handicaps de la mobilité éclaire ce qu’Alison Kafer appelle la vie « politico-relationnelle » des camps – les réseaux de soins et d’entraide qui se sont développés au fil des décennies en réponse aux conditions de l’occupation45. Cela reflète également comment le handicap est souvent une catégorie transactionnelle, intégrée aux économies de l’aide humanitaire, qui peut ou non être perçue comme une identité en soi. C’est une analyse déployée pour accéder aux ressources et participer aux discours sur les droits et l’autonomisation portés par les ONG et l’ONU, l’autonomie étant un sujet extrêmement délicat dans un tel contexte d’oppression sociale, économique et politique. De nombreux‧ses directeurices de centres ont expliqué que le cadre des droits humains, des organisations non gouvernementales et de l’aide humanitaire produisent un concept du « handicap » et son langage associé dans un mouvement dirigé de l’extérieur. À leur tour, ces interfaces linguistiques émergentes sont remodelées par les employées des centres et les résident‧es des camps pour créer des récits sur le handicap qui s’inscrivent dans des cadres de financement préétablis.

         Nos conversations nous ont appris que les blessures de guerre dans les camps sont considérées comme une forme de punition et donc comme des marqueurs de la résistance anticoloniale, ce qui suggère que le handicap est une facette onto-épistémologique46 de la résistance palestinienne, un état non exceptionnel du devenir qui façonne les comportements de nombreux‧ses réfugié‧es palestinien‧nes. Le handicap est vécu comme une conséquence de la résistance à l’occupation, mais aussi comme le simple fait de vivre sous l’occupation. Dans un contexte de problèmes de santé chroniques – tels que des taux élevés de diabète et de maladies cardiaques – le handicap n’est ni une identité habitée ni une orientation phénoménologique distincte qui distingue certains corps des autres. Cela ne veut pas dire que les résident‧es ne se considèrent pas ou ne considèrent pas les autres comme handicapé‧es, mais que l’identification dans ce contexte ne se résume ni à un « handicap descriptif » ni à un « handicap politique »47. Au contraire, le handicap, généralement invoqué comme un descripteur et mobilisé comme un élément transactionnel entre les opportunités de financement, est incorporé dans un ensemble plus large d’affaiblissements dans la vie de camps densément peuplés, qui exige des réseaux alternatifs de soins, d’intégration et d’aide. En d’autres termes, j’ai appris que le handicap est vécu tout autant, voire davantage, comme un processus communautaire de prise de conscience et de résistance aux conditions de l’occupation que comme une condition individuelle.

         Ce que j’ai également compris, c’est que pour naviguer à travers les innombrables infrastructures de réclusion, il faut adapter spécifiquement nos mouvements à l’espace et au temps, ce que j’appelle la « vie lente ». Lors de mes échanges avec les théoricien‧nes palestinien‧nes de la temporalité, la vie lente se réfère à la modulation coloniale des horizons temporels, et il y en a plusieurs : être coincé‧e pour toujours dans le passé du temps historique/civilisationnel, le « vol du temps » par l’expansion du temps de travail (travail vivant), et la retenue de la simultanéité temporelle si convoitée dans nos technologies de connexion qui signalent la modernité48. Je m’intéresse ici à la façon dont l’espace est délimité et créé à travers le temps. Cette délimitation passe par des structures architecturales qui sont érigées comme des obstacles à la vitesse, au rythme et à la cadence de la « libre circulation » : les points de contrôle, les autoroutes détournées, l’emplacement des colonies, la partition des terres et des populations en zones A, B et C. Comme l’ont souligné Rema Hammami et d’autres chercheureuses en études palestiniennes, le temps semble s’étirer en Cisjordanie – la Cisjordanie est à la fois plus petite, parce que le mouvement est court-circuité, et plus grande, parce qu’il faut plus de temps pour se déplacer d’un endroit à l’autre. Cet étirement temporel n’est pas simplement le résultat des dispositifs de surveillance et de sécurisation : c’est leur raison d’être, et ce davantage que l’interruption du mouvement palestinien dans sa totalité49. Rien n’arrive jamais « à l’heure ». L’incertitude devient une orientation affective primaire, une condition de possibilité inscrite dans la chair, une sorte d’ontologie. L’incertitude radicale est la condition de l’être.

         La notion de vie lente explore les liens entre la façon dont les personnes se voient refuser l’accès au mouvement et/ou sont déplacées (mobilité), la façon dont le handicap et la mutilation sont produits, distribués et contenus dans l’espace (affaiblissement), et la façon dont les personnes vivent le temps par rapport aux géographies spatiales (temporalité)50. Qu’il s’agisse du temps de la violence spectaculaire relative au capitalisme du désastre ou de ce que l’on présente comme un après [afterlife] de la violence — qui s’avère n’être qu’une continuité de celle-ci l’entrelacement de la temporalité, de l’affaiblissement et de la mobilité est absorbé dans la violence de tous les jours. La vie lente, selon moi, est donc une prise en compte des emprises capitalistes de l’incertitude. Et comme argument supplémentaire, la vie lente se réfère à la collectivisation du temps lent qui bouleverse les distinctions entre les personnes à mobilité réduite et les personnes valides dont les mouvements sont restreints51.

Les études sur le handicap dans le Sud52

         Depuis un certain temps, je situe mon travail sur la Palestine dans le contexte des préoccupations qui animent le domaine naissant des études du handicap dans le Sud [Southern Disability Studies, SDS]. Ce domaine insiste sur l’importance de cartographier la violence coloniale et impérialiste et les effets de la guerre, de la pauvreté et des mutilations de masse53. Dans Decolonising Disability, défi lancé à cette discipline en 2011, Meekosha déclare qu’un travail anticolonial et antiguerre pour mettre fin à ce qu’elle appelle la « mutilation de masse » doit être central non seulement pour les études du handicap en général, mais aussi pour complexifier ce que signifie le handicap dans un sens global. La notion de mutilation de masse relie l’aveuglement de centaines d’insurgé‧es au Cachemire54 par des balles à plomb, au ciblage de plus de sept mille membres inférieurs de manifestant‧es lors de la Grande Marche du retour à Gaza en 201855, à la mutilation de trente mille personnes par mois en Syrie, à l’utilisation récente d’armes « non létales » de contrôle des foules telles que les balles en caoutchouc (également appelées projectiles à impact cinétique) et les gaz lacrymogènes lors de manifestations aux États-Unis, en France, au Liban, à Hong Kong, en Catalogne, en Argentine et au Chili (qui a enregistré plus de trois cents traumatismes oculaires causés par la violence policière lors des soulèvements de 2019). Cette liste incomplète de mutilations épisodiques n’aborde même pas l’accumulation des mutilations et handicaps (par exemple, à travers les intifadas, le ciblage de Gaza en 2008-9, 2014, 2018 et 202156  et les guerres en série en Afghanistan et en Irak) et l’affaiblissement épigénétique générationnel ; les deux pourraient être considérés comme un processus d’accumulation primitive mis en œuvre à travers la dépossession du corps. Snounu note le circuit de double mutilation induit par l’aide humanitaire et inscrit dans le financement américain et canadien de l’occupation, en particulier par le biais de ventes d’armements, pour ensuite financer les efforts de réparation des dommages corporels et infrastructurels de la guerre : le cycle du capitalisme du désastre. La violence anticipée de l’avenir nous hante également : les travaux de Paul Rocher sur la croissance mondiale exponentielle de l’industrie des armes non létales au cours de la dernière décennie, des armes qui ne tuent pas – sans se soucier du fait qu’elles affaiblissent, mutilent, handicapent et peuvent éventuellement tuer – soulignent la consolidation croissante des blessures en tant que forme indulgente de violence humaine57.

         La nécessité de produire des études sur le handicap dans le contexte du Sud global est évidente, ce qui rend d’autant plus regrettable que cette recherche émergente soit mobilisée comme un correctif épistémologique, plutôt que pour éclairer l’entrelacement des processus transnationaux de fragilisation. Malgré les remarquables travaux de chercheur‧euses du Sud global comme Anita Ghai ; de revues telles que Indian Journal of Critical Disability Studies et Disability and the Global South ; de chercheur‧euses basé‧es en Amérique du Nord, comme Eunjung Kim (également basée en Corée du Sud), Rachel Gorman et Nirmala Erevelles, qui insistent sur une analyse transnationale et matérialiste du handicap ; et des recherches sur le colonialisme de peuplement et le handicap, en grande partie issues de chercheureuses canadien‧nes, comme Therapeutic Nations de Dian Million (University of Arizona Press,Tucson, 2013) et les travaux de Louise Tam sur la manière dont les services de soutien en santé mentale pour les demandeur‧euses d’asile servent d’outil d’endoctrinement à la subjectivité coloniale canadienne – malgré tous ces travaux, les études sur le handicap dans le Sud (ainsi que les littératures dialogiques sur le colonialisme de peuplement et le transnationalisme) sont souvent reléguées à la sphère de la différence épistémique et de l’altérité58. Si les études sur le handicap dans le Sud global se définissent principalement par la nécessité de se distinguer des « véritables » études sur le handicap, centralisant ainsi ces dernières comme site dominant de production de savoirs, alors la division Nord/Sud est réifiée en une différence ontologique entre le « soi » et l’« autre », plaçant ainsi la charge d’expliciter les effets d’affaiblissement de la colonisation sur les (post)colonisé‧es.

         Ce problème est abordé par un projet auquel je participe, Disability Under Siege (DUS), qui se concentre sur le handicap en Palestine, en Jordanie et au Liban59. Dirigé par Rita Giacaman, chercheuse palestinienne en santé publique à l’université Birzeit en Cisjordanie, et Dina Kiwan de l’université de Birmingham, ce projet de recherche poursuit deux objectifs : le premier est d’explorer les modes de production des connaissances et discours sur le handicap dans des contextes de conflit, en mettant au centre les géopolitiques et les archives des « zones de conflit » – ici au Moyen-Orient – qui ne sont pas forcément lisibles à travers une « analyse du handicap »  ou une « approche du handicap »  propre à l’Amérique du Nord ou au Nord global. Les archives mises en avant par les études du handicap dans le Sud global envisagent le handicap comme un élément quotidien et prolifique de la vie, résultant de la guerre et de la résistance à celle-ci. Les zones de conflit sont aussi des espaces où des prises de position binaires, telles que pour ou contre la médicalisation, n’ont pas de sens : ce sont plutôt des lieux et des moments où des agressions corporelles extrêmes s’accompagnent d’un manque criant de ressources infrastructurelles, médicales ou autres, pour y répondre. Le deuxième objectif est de mettre la notion même de handicap en question [under siege], en s’inscrivant dans la démarche de Meekosha dans une démarche de décolonisation du handicap.

         Dans la revue de littérature sur la Palestine produite par Disability Under Siege (DUS), Giacaman souligne qu’il y a un besoin urgent de travaux théorisant l’imbrication de la guerre, de la pauvreté et du handicap60. Ses propres recherches, qui élaborent une critique des « modèles occidentaux de maladie mentale et de PTSD [trouble de stress post-traumatique] », relèvent les effets de l’absence de telles théories sur des structures internationales de santé qui privilégient un « modèle social » du handicap, inadéquat dans certains contextes. Elle écrit que les ONG, lors de leurs premières interventions dans les années 1980 et 1990, diagnostiquaient des PTSD, troubles dépressifs sévères ou autres troubles de santé mentale à presque tout le monde. Giacaman déclare : « Nous avons remis en question l’utilité du trouble de stress post-traumatique comme catégorie de diagnostic qui considère la détresse et la souffrance causées par la violence comme une maladie psychiatrique. Cette approche dépolitise les troubles mentaux dus à la guerre en les définissant comme un phénomène biologique, transformant la douleur de vivre en temps de guerre en un problème technique, et effaçant la question fondamentale de la justice61. »

         Giacaman et ses co-auteur‧ices soutiennent que, au lieu d’un diagnostic médical de PTSD ou d’une approche centrée sur l’état mental altéré des enfants, nous avons besoin de solutions sociopolitiques. En effet, des mesures pour mettre fin à l’occupation, qui prendraient en compte une large population de jeunes présentant des symptômes de PTSD, permettraient de situer ces symptômes dans un cadre plus large de « trauma-scape » lié à l’occupation, plutôt que dans des événements traumatiques isolés pouvant être atténués par la thérapie, les psychotropes ou d’autres formes de médicalisation62. Ces chercheur‧euses mettent en évidence ce qu’iels considèrent comme un surdiagnostic du PTSD et des maladies mentales, et la manière dont celui-ci contribue à occulter le problème politique de l’occupation. La réalité complexe de l’affaiblissement généralisé affectant les populations sous occupation est simplifiée en une binarité plus facile à interpréter, articulée autour de la dichotomie handicapé/non-handicapé, ce qui permet en outre d’élargir le champ des populations concernées par les traitements médicaux. Ainsi, d’un point de vue humanitaire et axé sur les droits, la situation devient plus « gérable », car redistribuée entre capacité et incapacité. Ces chercheur‧euses insistent – et c’est important – sur le fait que le handicap tel que le conçoivent les études critiques du handicap euro-américaines, modèle qui imprègne les régimes de droits humains et occupe une place centrale dans le travail des ONG, fait partie de la structure coloniale de domination. En reprenant la réflexion de Frantz Fanon sur la médicalisation comme forme de colonisation, le diagnostic fonctionne comme un dispositif d’enfermement, et décrire une population comme « traumatisée » (c’est souvent le cas pour les enfants à Gaza) risque d’établir une relation extractive et, selon Giacaman, dépolitisée à la guerre et à l’occupation63.

         Giacaman et ses co-auteur‧ices développent actuellement ce qu’iels appellent un « modèle politique » du handicap, qui renvoie à des contextes plus larges de souffrance sociale en temps de guerre. Une manière d’aborder cette question est de déconstruire le cadre binaire, normatif/non-normatif, de la corporéité, qui établit un statu quo où se situent les notions de validisme et d’un monde pensé pour les corps valides. Du point de vue des zones de conflit, de l’occupation, du colonialisme de peuplement, de la guerre permanente et des processus de détérioration, nous ne vivons pas dans un monde pensé pour les corps valides. Ce qui est normatif, ce sont plutôt les pratiques et structures de violence qui produisent un affaiblissement systémique, faisant de la dichotomie normatif/non-normatif au mieux une catégorie non pertinente, au pire une rupture violente, à la fois épistémologique et ontologique, avec les réalités corporelles vécues. Le point de vue d’un modèle géopolitique – si tant est que nous insistions sur l’idée d’un modèle – propose que le handicap soit endémique, normatif (mais non opposé au non-normatif), et pourtant spatialement régulé de manière à se concentrer dans des lieux habités par des populations marginalisées, des zones de conflit, des territoires occupés et les vestiges du colonialisme.

         Le concept de « validisme », par exemple, s’articule nécessairement avec le racisme, l’impérialisme et l’utilisation biopolitique du handicap comme outil de domination. Pourtant, dans son usage croissant dans les discours sur les droits et la justice handix, il est présenté comme un truisme transparent de l’infrastructure et des attitudes sociales – le monde serait intrinsèquement et universellement validiste, quel que soit l’endroit. Le concept de validisme, en définissant a priori le handicap et la façon dont il est vécu et marginalisé, est dangereusement proche de devenir une catégorie analytique vide et souvent instrumentalisée dans un registre accusatoire par des personnes handicapées blanches qui privilégient des expériences corporelles, des capacités et des normativités très spécifiques. Le concept de validisme, d’après mon expérience auprès de personnes handix, d’organisations de défense des droits des personnes handicapées et de professionnel‧les de santé en Palestine, ne rencontre pas d’écho du point de vue terminologique ; ce n’est pas (encore ?) un discours largement répandu. Autrement dit, l’appareil conceptuel et la critique du validisme ne sont généralement pas utilisés pour décrire la manière dont les discriminations envers les personnes handicapées sont vécues ou expliquées. De même, d’après ce que j’ai pu observer de la vie en Palestine jusqu’à présent, le validisme ne semble pas avoir d’ancrage particulier en tant que structure émotionnelle collective, ni comme force idéologique orientant et surdéterminant les qualités des corps valorisés ou dévalorisés. Cela ne signifie pas l’absence d’attitudes et de politiques discriminatoires envers les Palestinien‧nes handicapé‧es, mais plutôt que le validisme est inextricablement lié aux conditions racistes et coloniales de l’occupation, et qu’il ne constitue donc pas le discours principal utilisé pour désigner de telles convergences. Bien que le mouvement de résistance nationaliste palestinien privilégie, sans surprise, une politique du corps masculiniste, différencier les revendications visant à mettre fin aux atteintes corporelles causées par l’occupation de l’expression de préjugés discriminatoires envers les personnes handicapées s’avère futile. L’un des effets les plus insidieux de cet affaiblissement des corps en Palestine est l’intériorisation du corps défectueux comme une caractéristique intrinsèque d’une population inférieure. Certes, la production violente du handicap ne devrait pas être instrumentalisée comme une raison pour mettre fin au conflit, à la guerre ou à l’occupation. Cependant, il reste difficile de dissocier la fin des mutilations de celle de l’occupation dans son ensemble.

         En réfléchissant aux limites de la réification d’une différence absolue entre les deux termes du rapport Nord/Sud, souvent liée à la nécessité de contrer les systèmes coloniaux en mobilisant la spécificité du local, nous faisons face à l’application différenciée de la notion même de « globalité ». Du point de vue des institutions universitaires nord-américaines, les études critiques sur le handicap dans le Sud ne représenteront jamais le champ des études critiques sur le handicap dans son ensemble, bien qu’elles abordent littéralement la réalité mondiale du handicap, en s’appuyant sur la statistique, souvent citée, selon laquelle 80 % des personnes handicapées vivent dans le Sud global. Ce constat ne peut être résolu par ce que j’ai par ailleurs appelé un « correctif épistémologique ». En d’autres termes, « inclure » davantage d’études sur le handicap dans le Sud dans les programmes ne répond pas à la source du problème, bien que ce soit une excellente initiative. Il s’agit ici de la violence épistémique inhérente à la catégorisation même du handicap64.

Décarcérer le handicap

         Formé en 2021 et basé aux États-Unis, Abolition and Disability Justice Collective (Collectif pour l’Abolitionnisme pénal et la justice pour les personnes handicapées, ADJC) met en avant des « alternatives au maintien de l’ordre fondées sur la justice pour les personnes handicapées ». La vision de cette initiative militante s’inspire en partie du récent ouvrage de Liat Ben-Moshe, Decarcerating Disability (Décarcérer le handicap), qui expose de manière magistrale les enjeux et la puissance d’une convergence entre la justice handix et les mouvements pour l’abolition des prisons et de la police. Constatant que les personnes handicapées sont incarcérées de manière disproportionnée et que l’incarcération entraîne une production systémique de handicaps, Ben-Moshe retrace le mouvement de désinstitutionnalisation psychiatrique, c’est-à-dire la fermeture des institutions pour personnes handicapées et des hôpitaux psychiatriques aux États-Unis dans les années 1950 et 1960, à l’époque des luttes pour les droits civiques. Elle note qu’il s’agit du « plus grand exode de personnes depuis des établissements carcéraux au cours du XXe siècle65 ». Cette histoire éclaire les processus de réinstitutionnalisation des personnes handicapées par le biais de l’incarcération massive qui a commencé dans les années 1970. Elle nourrit également un vaste horizon utopique d’abolition anti-carcéral, ancré à la fois dans l’histoire des luttes passées et dans les mouvements anticarcéraux contemporains, qui s’opposent à la négrophobie : cela s’est déjà produit, et peut donc se reproduire. Cette attention portée aux relations entre le handicap et les espaces carcéraux établit surtout de nombreuses connexions entre différentes formes de confinement, qu’il s’agisse de prisons, d’occupations, de centres de détention, de réserves, de camps de réfugié‧es, de zones militarisées ou de blocus. Bien que le travail de Ben-Moshe soit entièrement basé aux États-Unis, son cadre conceptuel autour de la décarcération du handicap peut suivre les pas d’Angela Davis, qui souligne que « le mouvement abolitionniste pénal […] ne peut pas se limiter à un seul pays66 ». En écrivant sur la nécessaire intersectionnalité des mouvements, Angela Davis déclare : « au sein du mouvement l’abolitionnisme pénal, nous essayons par exemple de trouver des moyens d’évoquer la Palestine afin que tous ceux et celles qui sont attiré‧es par la campagne en faveur du démantèlement carcéral réfléchissent également à la nécessité de mettre fin à l’occupation de la Palestine. Cette réflexion ne peut pas venir après coup : elle doit faire partie d’un processus d’analyse continu67. » En croisant les réflexions de Ben-Moshe et Davis, une perspective abolitionniste anti-impérialiste et internationaliste émerge, avec en son centre les principes de justice pour les personnes handicapées.

         En réponse aux soulèvements qui ont eu lieu en Palestine au printemps 2021, l’ADJC a publié une déclaration de soutien, le 20 mai. Cette déclaration fait habilement le lien entre le handicap aux États-Unis et en Palestine, à travers des structures d’incarcération de masse et « l’échange mortel d’armes israéliennes, de tactiques militaires/policières et de technologies qui circulent entre Israël, les États-Unis et le Canada68 ». La déclaration met en avant les violences policières aux États-Unis et en Palestine, les pratiques d’incarcération en Israël et aux États-Unis – le pays avec le plus grand nombre de personnes incarcérées au monde –, ainsi que les régimes de colonialisme de peuplement interconnectés de ces trois États.

         Ce que je trouve particulièrement utile d’un point de vue pédagogique ici, c’est la manière dont le handicap et la mutilation sont appréhendés comme une vaste architecture de gouvernance mondiale. En mettant en lumière les infrastructures carcérales qui démobilisent, plutôt que de reprendre les approches conventionnelles de l’accessibilité, du design universel, de l’identité et des droits, l’affinité entre les mouvements abolitionnistes pénaux et décoloniaux implique dès lors l’abolition des structures carcérales associées à l’occupation et la décolonisation de la Palestine. En accord avec les organisations pour la justice handix qui ont dénoncé les imbrications du complexe médico-industriel avec les complexes militaro-carcéral et policier, abolir la police signifie abolir l’armée, abolir l’ICE (Immigration and Customs Enforcement), et abolir l’occupation. Enfin, l’ADJC lance un appel clair et puissant « pour que la décolonisation et la libération de la Palestine, ainsi que l’anti-impérialisme et l’antimilitarisme, soient au cœur de l’agenda politique des mouvements pour la justice des personnes handicapées69. » Les positions explicitement antisionistes de l’ADJC rappellent une fois de plus que les savoirs issus des mouvements de terrain et les théories ancrées dans l’action – qu’il s’agisse des soulèvements anticoloniaux en Palestine et en Colombie, des protestations des agriculteur‧ices en Inde, du mouvement Black Lives Matter ou des revendications autochtones pour la restitution des terres en Amérique du Nord – doivent constituer le fondement de toute version des études critiques sur le handicap.

Remerciements

         Je tiens à exprimer mes plus sincères remerciements à Ayla McCullough pour son excellente assistance à la recherche ; à Maya Mikdashi pour ses commentaires toujours aussi perspicaces ; et à Mel Chen, Alison Kafer, Eunjung Kim et Julie Avril Minich pour leur soutien bienveillant, leur patience et leurs retours éditoriaux.


[1] Note de traduction : Abréviation de « cripple » (estropié), le terme « crip », à l’instar de « queer », est une insulte stigmatisante réappropriée par les personnes concernées dans un geste de fierté. Il s’oppose au préjugé selon lequel la vie des personnes handicapées ne mériterait pas d’être vécue et que leur seul but serait de devenir valides ou de dissimuler leurs handicaps. Au-delà des étiquettes médicales, « crip » sert aussi de ralliement aux personnes concernées, quelle que soit la nature de leur handicap visible ou invisible, physique ou cognitif. Il met en lumière la dimension sensible et culturelle du handicap ainsi que la richesse des pratiques intellectuelles, artistiques et culturelles qui émergent des communautés handix. Le terme a notamment été utilisé par des artistes, poètes et performeureuses tels que Henry « Crip » Heard, Eli Clare et Cheryl Marie Wade. À la fin des années 1990, des militanx handix prennent leurs distances avec les luttes institutionnelles centrées sur la revendication de droits civiques et l’exigence de visibilité. Dans le même élan, des chercheureuses issu‧es des disability studies adoptent une radicalité similaire en cessant de considérer le handicap comme un simple objet d’étude pour en faire une méthodologie. Le terme « crip » est alors réinvesti par des penseur‧euses comme Eli Clare (1999), Carrie Sandahl (2003), Robert McRuer (2006) et Alison Kafer (2013), qui participent à l’élaboration de la théorie crip. Celle-ci fait de la catégorie de handicap un site de résistance à ce qui, justement, catégorise les corps. En opposition aux pratiques d’assimilation et d’inclusion libérales, elle valorise le handicap comme une pratique relationnelle, créative et désirable.

[2] Voir Alison Kafer, « After Crip, Crip Afters », South Atlantic Quarterly, no 120, vol. 2, 2021, p. 415-434.

[3] Note de traduction : la justice pour toutes les personnes handicapées ou justice handix est un mouvement de justice sociale qui se concentre sur l’examen du handicap et du validisme en relation avec d’autres formes d’oppression telles que le racisme, le classisme et le sexisme. Il a été développé en 2005 dans la région de la baie de San Francisco par le Disability Justice Collective, un groupe comprenant Patty Berne, Mia Mingus, Stacey Milbern, Leroy F. Moore Jr., Eli Clare et Sebastian Margaret.

[4] Tithi Bhattacharya, « Three Ways a Green New Deal Can Promote Life Over Capital » (trois voies par lesquelles un « New Dealvert » peut placer la vie au-dessus du capital), Jacobin (en ligne), 6 octobre 2019. Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article.

[5] Note de traduction : Le terme de biopolitique, qui trouve ses racines dans la philosophie de Michel Foucault, constitue une influence majeure pour Jasbir Puar. Ce concept désigne un domaine interdisciplinaire qui examine comment le pouvoir politique s’exerce à travers la gestion et la régulation des corps, des comportements, de la santé, du bien-être et de la vie d’une population, en utilisant des moyens tels que la législation, la surveillance, les pratiques médicales et les politiques sociales. Foucault soutient qu’avec la modernité, un changement fondamental se produit : le pouvoir ne s’exerce plus sur des territoires, mais sur la vie des populations. Il ne s’agit plus de tuer, mais de contrôler la vie. Comme il l’énonce, « On pourrait dire qu’au vieux droit de faire mourir ou de laisser vivre s’est substitué un pouvoir de faire vivre ou de rejeter dans la mort. (…) C’est sur la vie maintenant et tout au long de son déroulement que le pouvoir établit ses prises. » (Foucault, 1976) C’est notamment à cette phrase que Jasbir Puar mobilise plus tard dans le texte l’expression “make live” vector” pour illustrer les dynamiques de pouvoir contemporaines.

[6] Jina B. Kim et Sami Schalk, « Reclaiming the Radical Politics of Self-Care: A Crip-of-Color Critique », South Atlantic Quarterly, no 120, vol. 2, 2021, p. 338. Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article

[7] Note de traduction : L’acronyme BIPOC signifie « Black, Indigenous and people of color », soit « personnes noires, autochtones et racisées ».

[8] Note de traduction : le concept de « pods » (nacelles), issu des pratiques de la justice transformative, décrit les relations entre des personnes qui se tournent les unes vers les autres pour obtenir de l’aide en cas d’expériences violentes, que ce soit en tant que survivant‧es, spectateur‧ices ou personnes ayant causé des dommages. Les groupes sont constitués des personnes qui ont accepté d’être là pour nous, que ce soit à des fins générales ou spécifiques, et qui apportent du soutien dans des aspects tels que la sécurité immédiate et permanente, la responsabilisation et la transformation des comportements, ou la guérison et la résilience individuelles et collectives. Voir Mia Mingus, « Pods: The Building Blocks of Transformative Justice & Collective Care », SOIL (en ligne), 16 mars 2023. Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article.

[9] Note de traduction : La théorie des cuillères (spoon theory) est une métaphore développée en 2003 par Christine Miserandino, militante et blogueuse américaine vivant avec un lupus, pour expliquer à une amie ce que signifiait vivre avec une maladie chronique invisible. Elle propose une manière de représenter les ressources énergétiques limitées dont disposent les personnes handicapées ou malades chroniques, en utilisant des cuillères comme unité de mesure symbolique. Chaque activité (se lever, s’habiller, cuisiner…) consomme un certain nombre de cuillères ; une fois toutes les cuillères utilisées, il n’est plus possible d’en faire davantage. Cette théorie est largement reprise dans les communautés handies pour parler de fatigue chronique, de douleur, de gestion du quotidien, et plus généralement des inégalités d’énergie. Pour en savoir plus, voir : Christine Miserandino, « The Spoon Theory », article publié sur le site But you don’t look sick en 2003. Cliquez sur cette phrase pour accéder à l’article.

[10] Note de traduction : l’expression « antinuclearization of care » fait référence au rejet du modèle traditionnel de soins centré sur la famille nucléaire – composée d’un couple marié et de leurs enfants –, unité qui concentre l’essentiel des responsabilités en matière de soin. L’antinucléarisation des soins remet en question cette norme en reconnaissant que les soins et le soutien devraient être partagés et distribués de manière plus équitable au sein de la communauté, au-delà des structures familiales traditionnelles. Cela implique la promotion de modèles de soins collectifs, de réseaux de soutien communautaires et d’interdépendance sociale pour répondre aux besoins de chacun‧e, plutôt que de s’appuyer uniquement sur la famille nucléaire pour fournir ces services.

[11] Heike Peckruhn, « Tracing Debility and Webbing Resistance to State Violence through Crip Epistemologies » (tracer l’affaiblissement et tisser la résistance à la violence étatique à travers les épistémologies crip), Political Theology Network (en ligne), 4 juin 2021. Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article.

[12] Note de traduction : Le terme “tirer pour mutiler” a été développé dans son précédent livre The Right to Maim. Debility, Capacity, Disability publié en 2017. Puar utilise la notion de « debility » pour montrer comment des politiques d’invalidation envers des individus comme des populations entières bouleverse la catégorie du handicap. Elle décrit notamment comment Israël désigne l’ensemble des Palestiniens comme étant susceptibles d’être blessés tout en s’appuyant sur les approches libérales du handicap pour masquer son action. Elle explique comment elle a commencé à théoriser cette notion dans l’avant-propos du livre traduit par Emma Bigé et Harriet de Gouge : Aux côtés du « droit de tuer », je commençais cependant à remarquer une logique complémentaire, qui se manifestait dans les calculs tactiques du gouvernement colonial israélien − la création de dommages physiques et le maintien des populations palestiniennes dans un état perpétuel d’affaiblissement permettant d’exercer le contrôle sur elles. Les Forces de Défense Israélienne (FDI) avaient déployé avec une remarquable régularité depuis plusieurs décennies une logique qui consistait à tirer tout en épargnant la vie, à tirer pour mutiler plutôt que pour tuer. Il s’agissait d’une logique ostensiblement humanitaire, qui consiste donc à abandonner de nombreux civil‧es « handicapé‧es à vie » sur un territoire occupé avec des hôpitaux détruits, des réserves médicales rationnées et des ressources limitées. (…) La pratique censément humanitaire d’épargner la mort en tirant pour mutiler revêt des enjeux biopolitiques, pas au travers du droit à la vie, ni même au travers du « laisser vivre », mais plutôt au travers d’une logique du « ne pas laisser mourir ». Le droit souverain de tuer, tout comme son éminence grise, le droit de mutiler, font partie d’une pratique délibérée d’affaiblissement d’une population donnée ; ce sont des éléments clefs dans la logique biopolitique racialisante de la sécurité. Puar, J.-K.-., Traduit de l’anglais (États-Unis) par Bigé, E. et De Gouge, H. (2024). Le Droit de Mutiler « Mains En L’air, Ne Tirez Pas ! » Multitudes, 94(1), 103-108.

[13] Note de traduction : la notion de « Sud global » englobe les pays autrefois catégorisés comme appartenant au tiers-monde. Ces pays sont principalement affectés par les effets néfastes de la mondialisation et refusent de se soumettre à l’influence des puissances dominantes du « Nord global », un autre terme pour désigner l’Occident.

[14] Fred Moten, « blackpalestinian breath », dossier « Jasbir Puar: From Terrorist Assemblages to The Right to Maim », Social Text Online (en ligne), 25 octobre 2018. Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article.

[15] Yasmin Snounu, A critical ethnographical exploration of disability under apartheid conditions: The promising potential of Palestinian higher education institutions, thèse de doctorat en philosophie, Eastern Michigan University, p. 3. Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article.

[16] Yasmin Snounu, Phil Smith et Joe Bishop, « Disability, the Politics of Maiming and Higher Education in Palestine » (Handicap, politiques de la mutilation et enseignement supérieur en Palestine), Disability Studies Quarterly, no 39, vol. 2, 2019. Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article.

[17] Pour les travaux récents et à venir traitant de ce lien, voir Y-Dang Troeung, Refugee Lifeworlds, Temple University Press, Philadelphie (PA), 2022 ; Jay Sibara, Imperial Injuries, Temple University Press, Philadelphie, à paraître ; Eunjung Kim, Curative Violence, Duke University Press, Durham (NC), 2017 ; Robert McRuer, Crip Times, NYU Press, New York, 2018. Pour un aperçu des discussions récentes, voir Shaun Grech et Karen Soldatic (dir.), Disability in the Global South, Springer, Cham, 2016.

[18] Edward W. Said, La Question de Palestine, trad. Jean-Claude Pons, « Sindbad », Actes Sud, 2010.

[19] Note de traduction : Le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) est une campagne palestinienne non violente, lancée en 2005 par 171 organisations de la société civile palestinienne. Inspiré du mouvement anti-apartheid en Afrique du Sud, BDS appelle à faire pression sur Israël par trois types d’actions : le boycott des institutions et produits israéliens, le désinvestissement des entreprises complices de la colonisation et de l’occupation, et des sanctions internationales (politiques, économiques, culturelles). Le mouvement vise à obtenir la fin de l’occupation, l’égalité des droits pour les citoyen‧nes palestinien‧nes d’Israël, et le droit au retour des réfugié‧es palestinien‧nes. Il est aujourd’hui actif à l’échelle internationale, notamment dans les milieux universitaires, syndicaux, culturels et militants.

[20] Sins Invalid, « Disability Justice for Palestine » (en ligne). Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article.

[21] Helen Meekosha, « Decolonising Disability: thinking and acting globally » (décoloniser le handicap : penser et agir globalement), Disability & Society, no 26, vol. 6, 2011, p. 668. Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article. Traduction française : « Décoloniser le handicap : penser et agir globalement », trad. le KIOSK, 2011. Cliquez sur cette phrase pour accéder à l’article

[22] Orsak, « How Disability Became White » (comment le handicap est devenu blanc). Sarah Orsak, Making disability white: Blackness and white disability from Hollywood to academia, thèse de doctorat, Rutgers University, 2022. Cliquez sur cette phrase pour accéder à la thèse.

[23] Meekosha, op. cit. p. 668.

[24] Meekosha, op. cit. p.670.

[25] Note de traduction : dans le contexte de « décolonisation du handicap », le terme « épistémologique » fait référence à la façon dont les connaissances sur le handicap sont produites, comprises et utilisées. Cela englobe les cadres conceptuels qui façonnent notre compréhension du handicap en tant que phénomène social, culturel et politique. La décolonisation épistémologique du handicap implique de remettre en question les normes et les perspectives dominantes qui ont été façonnées par des systèmes de pouvoir colonialistes, et de reconnaître la diversité des expériences et des savoirs dans la construction du handicap.

[26] Pour une discussion plus approfondie sur la blanchité et les études sur le handicap, voir Orsak, « How Disability Became White » 244 : « La notion de “handicap blanc” imprègne les études sur le handicap. La blancheur du domaine et sa circulation impérialiste émergent de l’attachement des études américaines sur le handicap à l’identité de celui-ci. Pour remédier au handicap blanc, il faut imaginer des études sur le handicap qui ne le considèrent pas comme un objet d’étude. De tels efforts exigent une posture différente où handicap n’est pas un objet d’étude, une identité, une analyse. Ce qui est en jeu, c’est plutôt la relation des chercheureuses avec le handicap tel qu’il est fabriqué, à travers une définition exclusive. S’éloigner du handicap blanc en tant qu’identité permet d’envisager le handicap comme un processus violent, de réimaginer les approches des chercheureuses sur le handicap face au racisme, à l’impérialisme et à la nation. Si le handicap en tant que catégorie est lié à cette violence, il faut adopter une position différente pour en rendre compte sans les reproduire. »

[27] Meekosha, op. cit.

[28] Snounu, Smith et Bishop, op. cit. Voir également Nouh Harsha, Luay Ziq et Rita Giacaman, « Disability among Palestinian Elderly in the occupied Palestinian Territory (oPT): prevalence and associated factors », BMC Public Health, no 19, 2019. Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article.

[29] La mention explicite du handicap en Palestine est plus fréquente dans les milieux éducatifs et domestiques, l’accent étant mis sur les droits et l’accessibilité, ou sur la stigmatisation sociale telle qu’elle apparaît dans les handicaps dits biologiques comme le spina bifida. Par exemple, voir Alison MacKenzie et al., « Barriers to effective, equitable and quality education: a rights based, participatory research assessment of inclusion of children with disabilities in Palestine », International Journal of Children’s Rights, no 28, vol. 4, p. 805-832, accessible en suivant ce lien ; Maha Sudki Nahal et al., « Palestinian children’s Narratives about living with spina bifida: Stigma, vulnerability, and social exclusion » Child: Care, Health and Development, no 45, vol. 1, 2019, p. 54-62, accessible en suivant ce lien ; Dalia Zahaika et al., « Challenges Facing Family Caregivers of Children With Disabilities During COVID-19 Pandemic in Palestine », Journal of Primary Care & Community Health, no 12, 2021, accessible en suivant ce lien. Par ailleurs, dans les sciences humaines, la santé publique et les sciences sociales, des termes tels que mobilité/immobilité se rapprochent le plus de la signification du handicap en tant que restriction de mouvement.

[30] Note de traduction : le monde majoritaire désigne les régions dans lesquelles se trouvent la majeure partie de la population mondiale, des ressources naturelles et de la masse continentale, mais qui sont souvent économiquement plus pauvres. Le « monde majoritaire » est généralement désigné comme le Sud global, les pays en développement ou le tiers-monde.

[31] Meekosha, op. cit. p. 668.

[32] Sur la « justice spatiale » pour les femmes du camp de réfugiés de Jénine, voir Sahera Bleibleh et al., « Palestinian Refugee Women and the Jenin refugee camp: Reflections on urbicide and the dilemmas of home in exile », Urban Studies, no 56, vol. 14, 2019, p. 2897-2916, accessible en suivant ce lien. Voir la discussion de Shatha Abu Srour sur un sit-in de protestation contre l’Autorité palestinienne dans « Social action to achieve a dignified life for people with disabilities in the occupied Palestinian territory », The Lancet, no 397, vol. 10277, 2021, p. 861-862. Voir également la table ronde « Disability Under Siege », organisée à l’Université de Chicago (Cliquez sur cette phrase pour accéder à la page de la table-ronde) à laquelle participait Jasbir Puar ; et Laura Jaffee, qui recadre les mouvements sociaux étudiants comme des mouvements pour la justice pour les personnes handicapées dans « Student Movements against the Imperial University », Berkeley Review of Education, no 10, vol. 2, 2021, accessible en suivant ce lien.

[33] Note de traduction : j’ai choisi de traduire « debilities » dans le texte initial par « invalidation » ; dans ce contexte, cette « debility » implique que les Palestien‧nes sont physiquement affaibli‧es et limité‧es dans leur mobilité en raison de leur situation géographique.

[34] Les centres situés dans les camps ont, dans l’ensemble, été créés en réponse aux blessures massives subies au cours de la première Intifada, de 1987 à 1993. Nombre d’entre eux ont été financés dans le sillage des accords d’Oslo (par l’ONU ainsi que par l’argent néolibéral et l’aide humanitaire). Lors de la première intifada, près de 30 000 enfants ont eu besoin d’un traitement médical pour des blessures causées par des coups, entre 6 500 et 8 500 mineur‧es palestinien‧nes ont été blessé‧es par des tirs à balles réelles et/ou ont subi des traumatismes corporels lors de leur détention administrative, et plus d’un millier de Palestinien‧nes ont été tué‧es. Nombre de ces centres, en particulier à la fin des années 1980 et au début des années 1990, ont été régulièrement dévalisés, pillés et vandalisés par les forces d’occupation israéliennes. Les personnes travaillant à la mise en place de ces centres, généralement des hommes qui ont été eux-mêmes handicapés pendant la première intifada, ont souvent été harcelées, ciblées pour être blessées (à nouveau), ou ont subi d’autres représailles afin de détruire ces efforts naissants. Les travailleureuses du centre décrivent comment l’attention portée aux personnes handicapées blessées par la guerre a conduit à une prise de conscience plus large du handicap, à un changement massif d’attitude à l’égard de toutes sortes de handicaps et à une plus grande intégration des personnes handicapées, longtemps confinées à la maison, dans la vie publique des camps. Ces blessures ont souvent relié des générations de Palestinien‧nes : par exemple, celleux qui ont été blessé‧es pendant la première intifada à celleux blessé‧es pendant la deuxième intifada ; beaucoup ont accumulé des blessures au cours des deux. Pour les statistiques sur les blessures subies pendant la première intifada, voir Rita Giacaman, « Reframing Public Health in Wartime » (recadrer la santé publique en temps de guerre), Journal of Palestine Studies, no 47, vol. 2, 2018, p. 9-27.

[35] La Cisjordanie compte environ deux douzaines de camps (dix-neuf camps officiels), avec 775 000 réfugié‧es enregistré‧es sur une population totale de 2,8 millions d’habitant‧es en Cisjordanie. Avec des traducteurices, nous avons visité les camps suivants : Balata, Fawwar, Aida, Dhehishe, Jalazone, Aroub, Askar, Jenin et Nour Shams. Si chacun a sa réputation, ses orientations politiques, ses spécificités géospatiales et son niveau d’intégration dans les réseaux d’aide humanitaire, de recherche, de tourisme et de délégation, tous connaissent généralement des taux chroniquement élevés de diabète, de maladies cardiaques, d’hypertension artérielle et les effets de l’exposition chronique aux gaz lacrymogènes (le camp d’Aida a été classé comme l’endroit le plus aspergé de gaz lacrymogène au monde). Ils sont aussi souvent la cible de raids quotidiens de l’IOF (forces d’occupation israéliennes). Ces conditions s’inscrivent dans un contexte de détérioration des infrastructures médicales, d’insécurité alimentaire, de diminution de l’accès à l’eau potable et de manque d’opportunités en matière d’emploi et d’éducation. Certains camps, comme Aida et Dheisheh, ont eu les ressources, la position centrale et les politiques nécessaires pour s’insérer dans le circuit de ce que l’on appelle la « ONGisation » de la Palestine. Mais des camps profondément radicaux comme Balata, près de Naplouse, ou éloignés, comme Fawwar, au sud d’Hébron, luttent pour les nécessités de base – eau potable, systèmes d’aide aux soins de santé, opportunités d’emploi, électricité. Sur la perception sensorielle de l’espace dans le camp de Balata, voir Shahd Adnan M. Qzeih et Rafooneh Mokhtarshahi Sani, « Sensory Perceptual Experience in Balata Refugee Camp », Open House International, no 44, vol. 2, 2019, p. 36-44, accessible en suivant ce lien. Sur la pénurie d’eau dans le camp de réfugiés d’Aida, voir Amahl Bishara et al., « The Multifaceted Outcomes of Community-Engaged Water Quality Management in a Palestinian refugee camp », Environment and Planning E : Nature and Space, no 4, vol. 1, 2020, p. 65-84.

[36] Ces études en anglais et traduites amplifient les paramètres géographiques des camps, les situant comme des sites de violence chronique en corrélation avec différents résultats sanitaires et ce que l’on appelle souvent une « faible qualité de vie ». Par exemple, voir Mohammad Marie et al., « Anxiety Disorders and PTSD in Palestine: a literature review », BMC Psychiatry, no 20, 2020, accessible en suivant ce lien ; Fasfous et al., « Differences in Neuropsychological Performance between Refugee and Non-Refugee Children in Palestine », International Journal of Environmental Research and Public Health, no 18, vol. 11, 2021, accessible en suivant ce lien. La littérature sur la santé renforce souvent le paradigme traumatisme/résilience et l’accès aux infrastructures, ce qui montre que ces récits restent sous-développés d’un point de vue critique des sciences humaines et sociales. Voir Fayez Azez Mahamid, « Collective Trauma, Quality of Life and Resilience in Narratives of Third Generation Palestinian Refugee Children », Child Indicators Research, no 13, p. 2181-2204 (2020) ; Guido Veronese et al., « Spatial Agency as a source of resistance and resilience among Palestinian children living in Dheisheh refugee camp, Palestine », Health & Place, no 62, 2020. Pour l’accent mis sur les capacités d’adaptation des enfants en tant que correctifs à la vulnérabilité et à la victimisation, voir Guido Veronese et Federica Cavazzoni, « I Hope I Will Be Able to Go Back to My Home City: Narratives of Suffering and Survival of Children in Palestine » (j’espère que je pourrai retourner dans ma ville natale), Psychological Studies, no 65, 2020, p. 51-63.

[37] Note de traduction : la fragmentation en Bantoustans, terme issu du contexte de l’apartheid en Afrique du Sud, fait référence à une politique de partitionnement en petites zones géographiques séparées et isolées, souvent associée à des politiques d’apartheid ou de ségrégation. En Cisjordanie, cela se réfère à la fragmentation en zones autonomes, souvent entourées de zones sous contrôle israélien, ce qui rend la mobilité des Palestinien‧nes difficile et fragmente la continuité territoriale de la région.

[38] Kareem Rabie, Palestine Is Throwing a Party and the Whole World Is Invited, Duke University Press, Durham (NC), 2021. Voir également Christopher Harker, Spacing Debt, Duke University Press, Durham (NC), 2021; Toufic Haddad, Palestine Ltd, Bloomsbury, Londres, 2018.

[39] Snounu, Smith et Bishop, op. cit..

[40] Helga Tawil-Souri, « Checkpoint Time », Qui parle, no 26, vol. 2, 2017, p. 383-422 ; Kotef, Movement and the Ordering of Freedom, Duke University Press, Durham (NC), 2015.

[41] Pour une discussion sur les approches « rhizomatiques » des camps et « l’après-camp », voir Yolanda Weima et Claudio Minca, « Closing Camps », Progress in Human Geography, no 46, vol. 2, 2021, p. 261-281, accessible en suivant ce lien. Sur les « violations spatiales » des camps et la création d’espaces, voir Samar Maqusi, « Acts of Spatial Violation: The Politics of Space-Making inside the Palestinian Refugee Camp », ARENA Journal of Architectural Research, no 6, vol. 1, 2021, p. 8, accessible en suivant ce lien. Sur l’im/mobilité, la temporalité et l’espace dans le camp de réfugiés d’al-Am’ari, voir Dorota Woroniecka-Krzyzanowska, « Multilocality and the Politics of Space ». Sur les « actions spatiales rapides » du colonialisme en Palestine, voir Irit Katz, « Mobile Colonial Architecture: Facilitating Settler Colonialism’s Expansions, Expulsions, Resistance, and Decolonisation », Mobilities, no 17, vol. 2, 2022, p. 213–237, accessible en suivant ce lien. Sur les récits politiques historiques de la temporalité des camps, voir Nasser Abourahme, « “Nothing to Lose but Our Tents” : The Camp, the Revolution, the Novel », Journal of Palestine Studies, no 48, vol. 1, 2018, p. 33-52.

[42] Rabie, op. cit. ; Harker, op. cit.. Pour des discussions sur l’espace, la propriété et les pratiques et idéologies de possession et de propriété, voir Eyal Weizman, Hollow Land, Verso, Londres/New York, 2024 ; Brenna Bhandar, Colonial Lives of Property, Duke University Press, Durham (NC), 2018, p. 29-31.

[43] Snounu, Smith et Bishop, op. cit. ; voir également Snounu, op. cit.

[44] Note de traduction : Une traduction habituelle serait « handicap moteur », mais ici, l’autrice mobilise cette expression dans un sens élargi, incluant aussi les formes de mobilité réduite ou empêchée, qu’elles soient liées à des limitations corporelles ou à des restrictions de circulation imposées par le contexte colonial. Le terme opère donc à l’intersection entre le handicap et des formes d’invalidation contextuelle.

[45] Pour une excellente discussion sur le statut de réfugié‧e palestinien‧ne en tant que « dépossession multiscalaire » à partir de laquelle une éthique et une politique de soins spécifiques sont encouragées, voir Loubna Qutami, « The Camp Is My Nationality: Palestinian-Situated Knowledge in the Global Refugee Crisis », Critical Ethnic Studies, no 6, vol. 2, 2020. Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article.

[46] Note de traduction : L’adjectif « onto-épistémologique » qualifie à la fois la nature de l’être (ontologie) et la façon dont nous la connaissons ou la comprenons (épistémologie). Ici, « onto-épistémologique » décrit le handicap comme une facette non seulement de la réalité ontologique des Palestinien‧nes – leur existence en tant que personnes handicapées –, mais aussi de leur compréhension de cette réalité – leur façon de comprendre et de réagir au handicap dans leur vie quotidienne et dans le cadre de leur résistance anticoloniale. En d’autres termes, le handicap serait en même temps une réalité vécue par les Palestinien‧nes et un aspect de leur compréhension du monde et de leur lutte contre l’occupation.

[47] Mia Mingus, “Moving toward the Ugly: A Politic beyond Desirability”, Leaving Evidence (en ligne), 22 août 2011. Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article.

[48] Lauren Berlant, ‘Slow Death’, dans Cruel Optimism, Duke University Press, Durham (NC), 2011, p. 95–120. Cliquer sur cette phrase pour accéder au chapitre.

[49] Rema Hammami, « On (Not) Suffering at the Checkpoint; Palestinian Narrative Strategies of Surviving Israel’s Carceral Geography’, Borderlands e-journal, no 14, vol. 1, 2015, p. 4. Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article.

[50] Pour un développement approfondi de la vie lente, voir Jasbir Puar, « Spatial Debilities: Slow Life and Carceral Capitalism in Palestine », South Atlantic Quarterly, n120, vol. 2, 2021, p. 393–414. Cliquer sur cette phrase pour accéder à l’article.

[51] Des travaux scientifiques et politiques prolifiques ont été consacrés à la réflexion sur ce qu’est la « lenteur » par rapport aux mesures normatives du temps. Parmi les références les plus fréquentes, citons la définition de la dégradation de l’environnement par Rob Nixon comme une « violence lente » et la « mort lente » de Lauren Berlant ; toutes deux offrent un contraste avec les formes de violence spectaculaire, motivée par des incidents, qui sont représentées dans l’enceinte d’un événement. Plus récemment, Jennifer Nash a écrit sur la « perte lente » pour compliquer les paradigmes de la psyché qui privilégient les ruptures avant-après. Voir Jennifer C. Nash, ‘Slow Loss’, Social Text, no 40, vol. 2, 2022, p. 1–20. Les chercheureuses des études critiques du handicap théorisent le « slow living » et le « slow care » ainsi que le « crip time » et les « crip temporalities » pour problématiser les exigences de la reproduction sociale sous le capitalisme qui se concentrent sur les corps productifs et purement capables. Dans ces conceptualisations, la lenteur est à la fois constitutive de formes de violence et la base de modes collectifs de vie et d’existence au sein de cette violence. La vie lente contribue à la compréhension, dans les études palestiniennes, du fait que la lenteur est également en soi une forme de violence, dans la mesure où elle est utilisée comme un outil de contrôle colonialiste. En même temps, ces cadres, y compris le mien, réifient plus ou moins la « lenteur » en opposition à la « rapidité » ou à la « vitesse », fonctionnant ainsi par inadvertance comme une capitulation à la temporalité normative. C’est peut-être là que le travail incisif de Denise Ferreira da Silva sur la logique du temps en elle-même, en tant que violence fondatrice de la philosophie des Lumières, suggère que toutes les relations temporelles, qu’elles soient lentes ou rapides, sont sujettes à l’emprise, à l’extraction et à l’exploitation. Voir da Silva, « The Banalization of Racial Events », Theory & Event, no 20, vol. 1, 2017, p. 61-65. Son travail incite à articuler la lenteur comme un mode d’être génératif et différencié qui contourne complètement la mesure de la vitesse. Des travaux récents dans le domaine des études noires attestent des potentialités de déconstruction du monde que portent ces non-relations avec la métrique du temps du capitalisme et la refonte du temps lui-même. Pour cette discussion, voir Léopold Lambert, « They Have Clocks, We Have Time: Introduction », The Funambulist, no 36, 2021, accessible en suivant ce lien. Dans les études palestiniennes, les travaux récents s’appuient sur la littérature relative à la perte de temps due au travail et à l’attente, en mettant l’accent sur les temporalités non linéaires et non capitalistes situées en dehors et en marge de la périodisation historique. Voir Sherene Seikaly, ‘The Matter of Time’, The American Historical Review, no 124, vol. 5, 2019, p. 1681–1688; Sophia C. Stamatopoulou-Robbins, ‘Failure to build: Sewage and the choppy temporality of infrastructure in Palestine’, Environment and Planning E, no 4, vol.1, 2021, p. 28–42; Jamal, « Conflict Theory, Temporality, and Transformative Temporariness: Lessons from Israel and Palestine », Constellations, no 23, vol. 3, 2016, p. 365-377, accessible en suivant ce lien ; Mikko Joronen et al., « Palestinian Futures: anticipation, imagination, embodiments. Introduction to special issue », Geografiska Annaler: Series B, Human Geography, no 103, vol. 4, 2021, p. 277-282, accessible en suivant ce lien ; Yara Sa’di-Ibraheem, ‘Jaffa’s Times: Temporalities of dispossession and the advent of natives’ reclaimed time’, Time & Society, no 29, vol. 2, 2020, p. 340–361.

[52] Note de traduction : le Sud se réfère tant à une dimension géographique que thématique, car les études dans ces régions abordent les questions de handicap dans des contextes postcoloniaux et d’oppression systémique.

[53] Note de traduction : « mass impairment » est une expression spécifique utilisée dans le texte, que j’ai tenté de traduire par « mutilations de masse », et qui fait référence à la perte d’un membre ou d’un organe, affectant un grand nombre de personnes, causée par la guerre, la violence ou encore la pauvreté.

[54] Note de traduction : depuis la première guerre indo-pakistanaise en 1947, le Cachemire, auparavant indépendant, est majoritairement sous la domination de l’Inde, tout en étant partagé entre l’Inde, le Pakistan et la Chine.

[55] Voir Jasbir Puar et Ghassan Abu Sitta, « Israel Is Trying to Maim Gaza Palestinians into Silence » (Israël cherche à mutiler les Palestinien‧nes de Gaza pour les réduire au silence), Al Jazeera (en ligne), 31 mars 2019, accessible en suivant ce lien ; Ghassan Abu Sitta, « There Is No International Community » (il n’y a pas de communauté internationale), Journal of Palestine Studies, no 47, vol. 4, 2018, p. 46-56, accessible en suivant ce lien.

[56] Note de traduction : Depuis la publication de ce texte, le cycle de violence évoqué ici s’est poursuivi. Il convient de mentionner en particulier le génocide en cours contre la population palestinienne à Gaza depuis octobre 2023.

[57] Paul Rocher, « Shooting Rubber Bullets at Demonstrators Is, in Fact, Lethal » (tirer des balles en caoutchouc est, en fait, létal), Jacobin (en ligne), 16 juin 2016, accessible en suivant ce lien ; Seantel Anaïs, Disarming Intervention, UBC Press, Vancouver, 2015.

[58] Voir Anita Ghai, Rethinking Disability in India (Repenser le handicap en Inde), Routledge, New Delhi/Abingdon, 2015 ; Kim, « Specter of Vulnerability » (Le spectre de la vulnérabilité), dans Michael Gill et Cathy J. Schlund-Vials (dir.), Disability, Human Rights and the Limits of Humanitarianism, Routledge, Londres, 2014, p. 137–154 ; Gorman, ‘Disablement in and for Itself: Toward a “Global” Idea of Disability’ (Le handicap en soi et pour soi : pour une notion « mondiale » du handicap), Somatechnics, no 6, vol. 2, 2016, p. 249–261 ; Erevelles, Disability and Difference in Global Contexts (Handicap et différence en contextes mondiaux), Palgrave Macmillan, New York, 2011 ; Dian Million, Therapeutic Nations (Nations thérapeutiques), University of Arizona Press, Tucson, 2013 ; Tam, « Agitation and Sudden Death » (Agitation et mort subite), American Quarterly no 69, vol. 2, 2017, p. 339–345. Voir également le numéro récent de Disability Studies Quarterly consacré à l’indigénéité et au handicap : Juliet Larkin-Gilmore, Ella Callow, et Susan Burch, « Indigeneity and Disability: Kinship, Place, and Knowledge-Making » (Indigénéité et handicap : parentés, lieux et production de savoirs), Disability Studies Quarterly, no 41, vol. 4, 2021, accessible en suivant ce lien.

[59] Disability Under Siege (Le handicap sous siège), cliquer sur cette phrase pour accéder au site Internet

[60] Rita Giacaman, « Conceptual Frameworks of Disability in the Occupied Palestinian Territory with a focus on the Palestinian legal and health systems » (Cadres conceptuels du handicap dans les Territoires palestiniens occupés, du point de vue des systèmes judiciaire et de santé palestiniens), Disability Under Siege (en ligne), accessible en suivant ce lien. Dans une même perspective à propos du manque de recherches sur les blessures de guerre à Gaza, voir Marwan Mosleh et al., « The Burden of War-Injury in the Palestinian health care sector in Gaza Strip » (Le fardeau des blessures de guerre dans le secteur palestinien de la santé publique à Gaza), BMC International Health and Human Rights, no 18, 2018, accessible en suivant ce lien. Il convient de noter que l’emploi du terme « fardeau », courant dans la littérature de la recherche en santé publique traitant de la guerre et du handicap colonial, ne reflète aucune pathologisation des personnes handicapées ; au contraire, « fardeau » fait référence à la pression exercée sur des infrastructures médicales fragilisées par la guerre, incapables de prendre en charge les patient‧es de manière adéquate.

[61] Giacaman, « Reframing Public Health in Wartime » op. cit., p. 16-17. Sur la dépolitisation de l’occupation via la narration du traumatisme, voir Didier Fassin et Richard Rechtman, L’Empire du traumatisme, Flammarion, Paris, 2007. Voir également Lara Sheehi et Stephen Sheehi, Psychoanalysis Under Occupation, Routledge, Londres, 2022 ; Rachael Stryker, « Young people, emotional suspicion and the emergence of paediatric selfhood in Palestine » (Les jeunes, la méfiance émotionnelle et l’émergence d’une subjectivité pédiatrique en Palestine), Children & Society, no 34, vol. 4, 2020, p. 305–319.

[62] Voir Yoke Rabaia, Mahasin F. Saleh et Rita Giacaman, « Sick or Sad? Supporting Palestinian Children Living in Conditions of Chronic Political Violence » (Malade ou triste ? Soutenir les enfants vivant sous une violence politique chronique), Children & Society, no 28, vol. 3, 2014, p. 172–181.

[63] La Cisjordanie est habituée aux confinements, fermetures forcées, ordres de se mettre à l’abri, quarantaines et obligations de rester chez soi, ce qui soulève la question : qu’est-ce qu’une quarantaine dans un lieu déjà défini par le confinement ? Quel est l’effet de la pandémie dans des endroits où l’incertitude constitue une condition d’existence, une incertitude collective ? Sans s’appuyer sur les notions de « traumatisme », de « déclencheur », de « répétition » ou de « retour à » l’événement, en quoi cette résonance entre l’enfermement et la pandémie refuse-t-elle les récits de traumatisme colonial et se transforme-t-elle en formes de résistance collective ? Dans quelle mesure les Palestinien‧nes désindividualisent les symptômes pour les orienter vers une conscience anticoloniale collective ? Pour plus d’informations sur la pandémie en Palestine, voir Danya Qato, « Introduction : Public Health and the Promise of Palestine », Journal of Palestine Studies, no 49, vol. 4, 2020, p. 8-26, accessible en suivant ce lien.

[64] Orsak, « How Disability Became White » (comment le handicap est devenu blanc). Sarah Orsak, Making disability white: Blackness and white disability from Hollywood to academia, thèse de doctorat, Rutgers University, 2022. Cliquez sur cette phrase pour accéder à la thèse.

[65] Extrait de la description du livre sur le site personnel de Liat Ben-Moshe, Decarcerating Disability (Décarcérer le handicap), University of Minnesota Press, Minneapolis, 2020, accessible en suivant ce lien.

[66] Davis, « Dr. Martin Luther King Jr. Lecture » (Conférence de Dr. Martin Luther King Jr.).

[67] Angela Davis, Une lutte sans trêve, trad. Frédérique Popet, La fabrique, Paris, 2016, p. 33. Pour des précisions et une analyse de la politique de solidarité diasporique intersectionnelle et latérale du mouvement de jeunesse palestinien, voir Ruba Salih, Elena Zambelli et Lynn Welchman, « “From Standing Rock to Palestine We Are United” : diaspora politics, decolonization and the intersectionality of struggles » (« “De Standing Rock à la Palestine, nous sommes uni‧es” : politiques diasporiques, décolonisation et intersectionnalité des luttes »), Ethnic and Racial Studies, no 44, vol. 7, 2020, p. 1135–1153.

[68] Abolition and Disability Justice Collective (en ligne), , « Statement of Solidarity with Palestine » (déclaration de solidarité avec la Palestine), 20 mai 2021, accessible en suivant ce lien.

[69] Abolition and Disability Justice Collective, ‘Statement of Solidarity with Palestine’, op. cit..


Traduction par Lauren Delphe

Relectures par Nesma Merhoum